Liminaire CGT CSE Siège du 10 avril 2024

On achève bien les vieux

Pardon, dans la langue managériale, on ne parle plus de vieux, mais de seniors. On édulcore, on arrondit les angles, on change même le sens des mots quand ils sont trop gênants.

C’est ainsi que les plans de licenciements sont devenus des plans de sauvegarde de l’emploi et les cotisations sociales sont devenues des charges.

Les vieux sont devenus des seniors, ça fait plus classe. Senior, seigneur, si señor. Cela impose le respect. On entend expérience, sagesse, transmission des savoirs dans le mot senior.

Et pourtant, rien à voir avec ce que vivent les plus de 50 ans à France Télévisions.

Déjà, à cet âge vénérable, un salarié de cette entreprise se doit d’être dans l’encadrement. C’est un peu comme Sarkozy et sa Rolex. Si à plus de 50 ans, il n’est pas chef de quelque chose, c’est qu’il a raté sa vie et sa carrière.

Cela dénote une certaine conception du management par rapport aux métiers. Un métier, pour la plupart d’entre nous, c’est une activité qui a été exercée avec passion, avec l’amour du travail bien fait, avec une volonté de s’adapter aux nouvelles technologies et aux nouvelles pratiques, tout en préservant la qualité.

Mais à FTV, comme dans beaucoup d’entreprises appliquant plus ou moins les mêmes méthodes managériales, il y a un sentiment assez répandu, un refrain qui ne monte sans doute pas assez hauts dans les étages de direction : le sentiment d’être empêché de bien travailler. Pour des raisons d’économies, pour des tâches qui s’empilent, pour des heures perdues à remplir des cases dans des logiciels conçus par des ingénieurs qui justement ne connaissent pas votre métier et votre façon singulière, riche d’expérience, de l’exercer.

Alors, à plus de 50 ans, la direction fait passer pour une difficulté à s’adapter ce qui relève plutôt d’un refus d’accepter n’importe quoi : des journées de 14 heures, des activités supplémentaires sans contrepartie, ou des directives qui viennent d’en haut, et qui vous empêchent de mener à bien votre travail. On vous reproche votre manque de souplesse. Car comme chacun le sait, il n’y a que les salariés qui sont rigides.

C’est ce qui se passe avec le logiciel Sherlock. Au lieu de concevoir un logiciel qui facilite le travail des salariés, adapté aux spécificités de leur métier, on l’achète sur étagère et le salarié devient Beta-testeurs à son insu pour identifier les modifications nécessaires. Il a été formé pour ça ? Il sera payé pour ça ? Il sera remercié pour ça ? Jamais, par contre, il risque d’être remercié, mais d’une autre manière, s’il ne s’adapte pas.

C’est un peu comme dans une expérience où l’on met une souris dans un labyrinthe et on observe comment elle va déjouer les pièges pour arriver jusqu’au bout de gruyère. Résultat, des salariés qui s’arrachent les cheveux, qui cherchent des solutions de contournements et des équipes de support qui font leur possible pour que la souris ne devienne pas folle, des activités chronophages qui s’ajoutent à leur périmètre et des managers qui font comprendre aux plus anciens que l’on ne veut plus d’eux. C’est du vécu, et les témoignages abondent. Et pour quels bénéfices ? Est-ce que les utilisateurs de Sherlock ont le sentiment de faire mieux leur travail ? Pas vraiment, à lire le rapport d’expertise.

Avec ce genre de logiciels, beaucoup de seniors ont le sentiment d’être poussés vers la sortie, surtout lorsque la direction fait un recours abusif aux alternants, ou aux prestataires, pour remplacer des anciens supposés peu malléables. Les responsables de France télévisions ont sans doute oublié un principe de base selon lequel c’est le travail, et donc l’outil, la machine, le logiciel, qui doit s’adapter à l’homme et la femme, et non l’inverse.

S’adapter. Pourtant, les salariés ne font que ça. Les JRI par exemple, n’ont fait que s’adapter aux nouvelles caméras, ont été contraints de faire du son, se sont mis à diffuser leurs images, à utiliser toutes sortes d’équipements toujours plus complexes les uns que les autres. Et pourtant, ils sont nombreux, en fin de carrière, le dos cassé par des caméras trop lourdes, à se sentir mis au rencart, et à enchainer les permanences.

A France télévisions, aucun suivi des parcours individuels. Tout juste un entretien annuel qui finit aux oubliettes. Une DRH incapable d’imposer ses vues à des baronnies indéboulonnables et toutes puissantes.

Prenons le cas emblématique des anciens grands reporters du service étranger de France 3, entre autres. Tous déclassés, dévalorisés, contraints d’effectuer des tâches qui ne prenaient pas en compte leur expérience. Eux aussi poussés vers la sortie, en arrêt maladie de longue durée, licenciés pour inaptitude, ou partis en rupture conventionnels, dégoutés.

Il faudrait comptabiliser également les licenciements abusifs, sur des dossiers montés de toute pièce, sans aucun respect pour les garanties fondamentales, et qui touchent principalement des salariés de plus de 50 ans.

Une autre méthode, pour se débarrasser des seniors, c’est de les mettre dans une voie de garage, un service qui est voué à disparaître, ne pas renouveler les effectifs, pour qu’au final, après les départs naturels à la retraite, il ne reste que les derniers mohicans. C’est ce qui est arrivé à l’ancien service Afrique de la rédaction internet, ex-Géopolis, où de véritables journalistes spécialisés enrichissaient la production de contenus de toute leur expérience. C’est ce qui est arrivé aux illustrateurs sonores, aux réalisateurs « maison » de documentaires, laissés sans travail pendant des années, et ce qui va bientôt se passer pour les équipes légères de la Fabrique.

Trop vieux, trop chers, et dans les métiers non techniques, un sentiment de perte de sens face aux nouvelles forme de travail, quand la technique, justement, prend le pas sur les fondamentaux du métier.

Alors, quand la présidente de FTV déclare, dans son dernier « Direct », qu’il faut que le savoir des anciens se transmette aux plus jeunes, qu’ils transmettent le flambeau comme elle dit, on a envie de rire, ou plutôt de pleurer. Car ce flambeau, ce cœur à l’ouvrage, la plupart des seniors l’ont perdu dans une hyper-rationalisation des tâches et un formatage de tous les métiers par de nouveaux logiciels et de nouvelles organisations.

Sa proposition – une négociation sur un départ à la retraite progressive – peut être une solution pour celles et ceux qui ne sont pas dans une « forme Olympique », mais elle ne règle pas le problème de fond.

Entre un pouvoir qui veut prolonger les années de travail des seniors, et les entreprises qui veulent s’en débarrasser le plus tôt possible, il y a une profonde contradiction. Les négociations actuelles au MEDEF sur le contrat seniors en sont l’illustration.

Partir à la retraite plus tôt et dans des conditions dignes, pour laisser la place aux plus jeunes. D’accord. Mais partir après des années de découragement et d’amertume, avec le sentiment de n’avoir plus sa place dans l’entreprise, pas question.

Paris, le 10 avril 2024

Pour télécharger le pdf, c’est ici 👉

Imprimer cet article Télécharger cet article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *