La crise sanitaire fait remonter d’autres inquiétudes à la surface
En cette période de redoublement de la pandémie, les restrictions sur la vie quotidienne à Paris et en Île de France avec le couvre-feu, les transports, la prolongation du télétravail a la maison pèsent lourdement sur le personnel.
Au Siège, en une semaine, le nombre de cas d’infection a doublé et la contagion s’accélère. L’organisation des tests de dépistage qui a été chaotique pendant des mois, commence à se mettre en place.
L’inquiétude est particulièrement grande chez les salariés qui doivent se rendre sur leur lieu de travail, pour assurer la continuité de l’activité, à l’information, à la fabrication et à la diffusion des programmes et des journaux.
La proximité sur les lieux de travail, l’impossibilité dans certains lieux de maintenir la distanciation nécessaire, l’impossibilité d’aérer les bureaux et open-space, le retard dans la mise en place des plexiglas sur les bureaux partagés, suscitent certaines angoisses, aggravées par les atermoiements du gouvernement dans la gestion de la crise.
Mais la crise sanitaire sert aussi de terreau d’anxiété en faisant remonter à la surface d’autres inquiétudes.
Financement en berne
Inquiétude sur la situation financière de l’entreprise toujours aussi précaire en 2020 (déficit de 10 M€ hors Salto) mais qui devrait l’être encore plus en 2021 vus les besoins d’investissement qui se dressent devant nous : le virage numérique, la régionalisation, le soutien à la création, le maintien de France 4 pendant 8 mois. Et la crainte d’un nouveau plan d’économies est réelle.
La remise en cause de notre modèle économique est encore réapparue lors des débats à l’Assemblée avec la énième tentative de faire supprimer nos ressources publicitaires de la part des syndicats de producteurs ou celle, bienveillante en apparence, d’étendre la redevance à tous les foyers fiscaux… mais en la faisant passer de 138 à 100 euros.
La CGT revendique un panachage dynamique des ressources et une révision de la trajectoire financière de France Télévisions, durablement percutée par la crise sanitaire.
Transformation au pas de charge
Inquiétude sur les chantiers de transformation vu les aléas du côté du CDE, du NRCS (open média) dont les formations ont été suspendues ou des nouvelles régies Mozar en région dont l’expérimentation est repoussée.
Le projet de Control Room du CDE, censé assurer la diffusion de l’ensemble des antennes nationales, a été stoppé en raison de la crise COVD, de la cyber- attaque de juillet dernier, et de l’autorisation toujours suspendue de la commission de sécurité de la Préfecture.
Pourtant, la direction a bien tenté d’imposer « à la hussarde » une réorganisation transitoire, avec une organisation transverse des plannings et une harmonisation des pratiques, en zappant le réexamen de son projet initial, ce qui n’a pas manqué de provoquer une forte réaction des collectifs concernés.
La CGT revendique une présentation précise, loyale et complète de l’organisation transitoire du CDE devant les élus du CSE et les organisations syndicales.
L’emploi n’est pas une variable d’ajustement
Inquiétude sur le devenir de l’emploi après le constat que le plan de départ emporte nettement moins d’adhésion que prévu. Loin des 2000 départs espérés d’ici 2022, seuls 841 salariés se sont à ce jour inscrits dans le dispositif.
Dans ce contexte, comment faut-il interpréter l’augmentation des départs pour autres causes : licenciement, inaptitude, rupture conventionnelle, démission (37 répertoriés au Siège) ?
S’agirait-il des conséquences de politiques managériales visant à tenir coûte que coûte les objectifs initiaux ? L’entreprise prendrait-elle le risque de s’inscrire dans les schémas mortifères dont on a pu mesurer les effets dramatiques dans d’autres entreprises (le Plan Next d’Orange par exemple) en poussant au départ celles et ceux dont elle voudrait plus?
La CGT rappelle le principe fondamental du volontariat inscrit dans l’Accord RCC du 7 mai 2019, et qui ne peut souffrir aucune exception. De plus, les postes laissés vacants par les départs doivent pouvoir être comblés ou redéployés pour des projets de développement.
Salaires : injustifiables disparités
Inquiétudes enfin sur les salaires. Les comités salaires viennent d’avoir lieu au Siège. Ils ont confirmé l’état des lieux dressé par la CGT : huit ans après l’harmonisation salariale de 2012, les disparités se sont creusées et de manière abyssale.
Jusqu’à 10 000 € de différence entre deux journalistes JRI de même ancienneté et de même âge. 8 000 € entre deux rédacteurs… 6 000 € entre deux chargés de gestion administrative, 4 500€ entre deux machinistes… Et nous n’évoquons que les salaires connus, de ceux qui ont demandé l’examen de leur cas en comité salaires. Ce n’est qu’une partie de l’iceberg (30%). Si on regarde les courbes et nuages de points, les disparités sont énormes.
Des écarts avec le salaire médian de 15 %, 25 %, voire 30 % chez les personnels administratifs, de 10 %, 15 %, 25 % chez les journalistes, 10 %, 25 %, 30 % chez les techniciens.
Les recrutements, à France Info notamment, mais aussi ailleurs, se font au rabais, très en dessous des salaires médians, pourtant pris comme référence par les DRH. Des élus voient leur progression de carrière bloquées.
Toutes ces disparités sont intolérables, d’autant plus que les N°1 eux-mêmes n’arrivent pas à les justifier.
Ces cadres, ces N+1, rappelons-le, sont traités comme des salariés privés de droits : ils sont exclus des comités salaires, alors que les inégalités de traitement dans l’encadrement, entre deux chefs de service, deux adjoints, sont-elles aussi faramineuses.
Il en découle un fort sentiment d’injustice. Cela crée des tensions dans les services, de la démotivation. Des salariés, blessés par un manque de reconnaissance, s’enferment dans leur rancœur.
Il faut en finir avec politique des salaires erratique et inéquitable. Il faut une remise à plat des disparités salariales. L’entreprise FTV ne s’en portera que mieux.
Il faut aussi remettre du paritarisme dans la gestion des carrières et des salaires, seul rempart pour éviter les dérives, le copinage, le clanisme et l’arbitraire.
Pascale Justice, inaptitude
Après Joseph, Elodie, Bertrand, Kadour, Jean-Marc, Jean-Yves, Joy, Régis, c’est au tour de Pascale Justice de partir, de quitter France Télévision.
Tous sont certes des cas différents, chacun avec ses raisons propres, de santé, de raisons ou de projets personnels. Mais tous étaient des journalistes historiques de la rédaction nationale de France 3, broyés par la fusion.
Pascale Justice part, suite à un avis d’inaptitude prononcée par le médecin du travail.
Sa première réaction, elle m’a dit : « ce n’est pas moi qui suis inapte, c’est eux, qui sont inadaptés » eux, les rédacteurs en chef, les directeurs.
Pascale, comme beaucoup d’autres, est une journaliste passionnée par son métier. Elle avait le goût de l’enquête, du travail approfondi, de l’investigation… Pendant des années le 19/20, comme Soir 3 disparu lui aussi, ont pu mettre à l’antenne des grands dossiers : Médiator, Ebola, avec 6 reportages tournés en Guinée, la Dépakine, les pénuries de médicaments. Pascale est aussi l’auteure d’un 52 minutes sur l’affaire Dutroux et d’un autre 52 mn sur la pédophilie suivi d’un débat animé par Elise Lucet.
Et puis est venue la fusion. La fusion-disparition de la rédaction nationale de France 3, accompagnée d’une caporalisation insupportable, pour des journalistes qui ont l’indépendance et les principes professionnels chevillés.
Les rédacteurs en chef et chefs de service en salle de montage, qui dictent les commentaires, qui exigent une V2, une V3, une V4 (version). Les coupes sauvages dans les reportages, qui ont nécessité des semaines d’enquête, les commandes de sujets annulés, les preneurs de son supprimés, par un directeur qui ignore tout des conditions de tournage par temps de mistral…
Tous ces comportements vécus comme autant de brimades et d’abîmement du métier ont fini par avoir raison de l’état de santé de Pascale.
Dans le même temps Pascale Justice a été la présidente emblématique de la rédaction nationale de France 3. Avec acharnement, elle a représenté notre rédaction, comme une vigie, pour défendre son existence et une information exigeante.
Déplorant de rabougrissement de l’information et des ambitions éditoriales des JT, Pascale s’est tournée vers les magazines – et elle n’est pas la seule – mais elle a trouvé porte close. De plus en plus les magazines et l’investigation sont sous-traités aux agences de presse, « les boîtes de prod ».
Je veux aussi évoquer la carrière, côté feuille de paye de Pascale. Grant Reporteur Palier 1 depuis 1994. Aucune promotion en 26 ans, c’est vraiment une exception à rebours. 34 ans de carrière et sur son dossier carrière, on voit une dernière augmentation en 2014, il y a 6 ans.
Premier burn out en 2018, Pascale a essayé de remonter la pente, mais sa santé s’est dégradée, aggravée par perte de sens au travail, l’absence de considération. Elle s’est retrouvée confinée dans des tâches secondaires : « j’ai eu une fin de carrière humiliante » dit-elle.
Paris, le 20 octobre 2020