Soir 3 : une référence face à la défiance
Aujourd’hui, et depuis moins d’un an, nous sommes collectivement confrontés à un phénomène qui nous concerne tous et que nous ne pouvons négliger car il constitue un défi majeur. Ce phénomène c’est la défiance envers les médias, le doute, la confusion qui s’est installée dans les esprits et sur les réseaux sociaux, la concurrence des médias alternatifs et en même temps le besoin de démocratie qui s’exprime chaque samedi dans nos rues et sur les ronds-points.
Dans ce contexte troublé, il y a un bien précieux qu’il faut absolument sauvegarder et entretenir : c’est la confiance des téléspectateurs. Cette crédibilité auprès du public s’est construite, patiemment, sur France 3 depuis 40 ans. Le Soir 3 c’est la première édition de France 3, créée en septembre 1978. Depuis 40 ans, le travail de tous ceux qui ont créé et incarné cette édition a permis d’imprimer dans l’esprit du public une marque forte, une référence.
Le document préparatoire de la direction le dit clairement : « la mission de service public de France télévisions en matière d’information est de faire référence ». Or aujourd’hui, alors même que cette priorité est établie, on nous annonce la suppression du soir 3 : non-sens total. Car la crédibilité ça ne s’invente pas, ça ne se décrète pas, ça ne se transfère pas, ça se gagne, ça se construit petit à petit.
Une édition reconnue
Aujourd’hui le public reconnait le Soir 3, ses valeurs, sa ligne éditoriale, internationale, européenne, d’analyse et de proximité avec chaque soir une place consacrée aux régions. Le public est au rendez-vous : depuis le début de l’année le Soir 3 bat des records d’audience : jusqu’à 1,6 million téléspectateurs en avril, meilleur score depuis 2015 alors qu’à la même heure franceinfo réunit 30 000 téléspectateurs. Qui peut croire que cette audience puisse être transférée, automatiquement, de la troisième chaîne au canal 27 parce que quelqu’un dans un bureau d’un étage élevé en aurait décidé ainsi ?
Le public n’est pas captif, il faut le respecter, car sinon la sanction sera directe : on le perdra. On s’apprêterait à supprimer un rendez-vous ancré dans l’histoire de la télévision française, qui fonctionne, qui est reconnu, qui est la seule édition à n’avoir aucune concurrence frontale, pour étoffer une chaîne d’info en continu dont les moyens ont été notoirement sous évalués. C’est inacceptable. FTV ne saurait être le seul groupe audiovisuel européen, à ne pas avoir de rendez-vous d’information en soirée sur une grande chaîne généraliste. Le seul, car les 27 autres pays de l’Union en ont un, à commencer par la BBC que l’on nous montre si souvent en exemple, qui a su pérenniser son « News at Ten » comme une institution nationale.
Un enjeu démocratique
Le Soir 3 c’est un espace de débat, et c’est un journal, le seul sur France 3, qui a chaque soir, 365 fois par an, un invité, voire deux le week-end. Ces personnalités de la société civile, qui représentent des associations, des initiatives citoyennes, des artistes, des représentants politiques, n’ont pas d’autre possibilité de s’adresser au public de France 3 sur une tranche d’info. Alors que nous sommes en période électorale, que de nombreux candidats se plaignent d’être mal-représentés dans les grands rendez-vous de France 2, supprimer cet espace où des représentants de la diversité des partis politiques peuvent venir s’exprimer, c’est d’une certaine façon porter atteinte à la démocratie, alors même que la demande du public d’une meilleure représentation, plus directe, devrait nous interpeller.
Aujourd’hui plus d’une centaine de maires de communes rurales ont lancé une pétition pour sauvegarder cette édition qui donne une visibilité nationale à leurs territoires, des responsables de partis s’expriment, on voit bien qu’il s’agit d’un enjeu démocratique et de pluralisme qui se pose à l’échelle nationale.
Une édition Européenne
D’autant que le Soir 3 est la seule édition qui parle vraiment d’Europe, tous les soirs, grâce à l’Eurozapping, mais aussi dans ses sujets, dont au moins un dossier par semaine. Récemment le soir 3 s’est délocalisé par trois fois dans des capitales européennes avec son présentateur, à Rome, Athènes et Varsovie, pour aller au fond des choses, sur le terrain, et a réuni 800 000 téléspectateurs pour une édition consacrée à la Pologne.
Une mission de Service public
Le soir 3 coche toutes les cases de la mission de service public, le supprimer serait faillir à cette mission. Car le public de France 3 n’est pas celui de franceinfo, et ce ne sont pas les quelques ETP que cette chaîne pourra récupérer, (on parle d’une seule journaliste à temps partiel le week-end, donc un week-end sur deux !) qui changera cela. Quand bien même franceinfo progresserait en audience pour rivaliser avec BFMTV, (100 000 téléspectateurs), elle ne profitera pas de la locomotive que représente un prime-time de France 3 : Capitaine Marleau, c’est 7 millions de personnes avant le Soir 3.
Ensuite il y a l’argument du numérique, que l’on avance pour justifier cette décision. On nous explique que le 23 h de France info sera disponible en replay sur le site Internet. Formidable. Mais le soir 3 n’a pas attendu Franceinfo pour exister en ligne. Le replay est bien entendu disponible sur le site Internet, et également sur les box des téléviseurs, soit en intégralité, soit par reportages unitaires, qui se partagent et sont commentés sur les réseaux sociaux. Et l’on peut s’interroger sur la pertinence de miser sur le replay d’un journal d’une chaîne d’info en continu alors que par définition les téléspectateurs de ces chaînes privilégient le direct et donc l’info « en continu ».
La réduction du périmètre de l’info
Le fond de ce projet est qu’il engage une réduction du périmètre de l’information sur le service public. Pour augmenter la durée du journal de 23h de franceinfo d’une dizaine de minutes on voudrait supprimer un rendez-vous de 30 minutes quotidien sur une grande chaîne premium. 3h30 par semaine d’information pour le grand public sur la 3ème chaîne de France. 400 invités par an, dont une centaine d’hommes politiques de tous partis (2 par semaine) privés d’audience.
Plutôt que ce sabotage industriel, nous avons besoin d’une direction de l’information qui défende la qualité et la diversité de l’info sur le service public. En acceptant de reléguer le journal du soir sur le canal 27, on court le risque de priver d’information des centaines de milliers de personnes et de perdre ces téléspectateurs qui iront pour le coup s’informer sur la concurrence ou sur Internet.
Pour ces raisons, pour le respect du public de France 3, qui nous est fidèle et nous accorde sa confiance, pour l’enjeu démocratique que représente cette édition, la CGT demande aujourd’hui le retrait pur et simple du projet de suppression du Soir 3.
Paris, le 20 mai 2019
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